L’art de se lever la nuit

J’aime croiser des futurs parents. J’aime leur regard pétillant, tout fier, plein d’excitation. Et j’aime les revoir quelques mois plus tard. Oh, le regard est presque le même, à une différence près : les cernes de fatigue.
Si vous avez fait le camp d’entraînement pour futurs parents, vous savez que se lever la nuit, c’est un des grands défis de la parentalité. Même si pour moi c’est du passé, revoici quelques notes tirées de mon calepin sur la Vie nocturne des nouveaux parents. Tiens, juste à les relire, je réprime un baillement.

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Le bébé tout neuf
C’est connu, avec l’arrivée d’un poupon, la nuit devient une notion abstraite et le sommeil réparateur, un vague souvenir. Le bébé veut être allaité; nous rêvons juste d’être alités. La nuit se divise en petits hoquets de sommeil-jamais-profond. Aussitôt endormi, le devoir nous appelle. Chaque bruit suspect nous éveille, surtout si le bébé dort juste à côté. Même nos rêves n’arrivent pas à se développer plus loin que les bandes-annonces…

La marmotte-surprise
Puis arrive le jour où le bébé dort plus longtemps que d’habitude. Ironiquement, les parents eux, se réveillent quand même avec un mélange d’euphorie, de scepticisme et d’inquiétude. Il faut bien vérifier si tout va bien. Est-ce bien réel? Et si vous êtes parent plus d’une fois, c’est habituellement cette nuit-là que le plus vieux s’abonne aux cauchemars. En gros, ne vous habituez pas à dormir: c’est un piège.

Le glouton de minuit
Dans ces moments où on essaie désespérément d’établir une routine, de faire comprendre à notre poupon que l’absence de lumière devrait lui inspirer l’assoupissement, nous devons affronter un redoutable ennemi: son estomac. On a beau rêver de donner des boires seulement le jour, pour une raison qui m’échappe, le bébé tient à sa collation nocturne. Et pour être certain que l’on entend le cri de l’estomac, ses cordes vocales donnent un bon coup de main.

La fausse joie
Après quelques mois, enfin la lumière au bout du tunnel! Le bébé commence à comprendre le message: la nuit, on dort. Mais la régularité reste à acquérir. Une nuit de temps en temps, le sommeil de la maisonnée est troublé par quelques bruits de respiration rapide, puis par des récriminations saccadées et enfin par de majestueux hurlements d’indignation. S’en suit une courte bataille de coups de coude entre les parents pour savoir lequel deviendra le héros (et martyr) de la nuit.

Décodeur requis
Il faut beaucoup de patience, de douceur et de fausses notes pour arriver à endormir un bébé fébrile au milieu de la nuit. Surtout quand un petit rien peut le réveiller. Et si par malheur, on rate notre coup, il faut alors déchiffrer le message derrière le cri: je veux changer de position, je veux me faire bercer, promène-toi, je veux une suce, il y a trop de lumière, pas assez de lumière, bouge mieux que ça, ta chanson est plate, je n’aime pas ton haleine, où est maman, ce pyjama est affreux, ne t’endors pas avant moi, etc.

Le joyeux fêtard
Théoriquement, on se lève la nuit pour consoler ou réconforter un bébé. Mais encore faut-il qu’il pleure. Il arrive parfois qu’au contraire, le party soit pris dans la bassinette. On se lève à 3h du matin, prêt à rassurer un bébé inquiet, pour finalement être accueilli par des risettes, des rires, des bras qui voltigent et des jambes qui se font aller. Allez donc calmer un bébé fêtard, vous! Faut-il l’encourager? Le bercer plus vite? Lui chanter du ABBA au lieu d’une berceuse? Mystère.

Le suspense
Quand, au bout de maintes tentatives et de kilomètres de promenade (sur deux mètres carrés), quand finalement après de longues protestations le bébé s’endort dans nos bras, il est enfin temps de… ne pas se réjouir trop vite. La moitié du travail est fait. Reste à déposer le paquet dans son lit. On avance sur la pointe des pieds. Quelques feintes pour replacer la couverture. On descend tranquillement nos bras, oups, il bouge! On se redresse avec un air innocent. Le calme revenu, deuxième tentative, cette fois la descente est plus lente. La sueur coule le long de nos tempes. Enfin, le bébé a touché le lit! Je le répète: le bébé a touché le lit, tout va bien Houston. Oh, il a froncé les sourcils. Il s’agite. Attention, est-ce un œil qui me fixe? Vite, il faut agir…

On berce doucement le bébé avec les mains, il se défile, la suce tombe. Que faire? Le cœur battant à tout rompre. Avec des gestes chirurgicaux, on replace un bout de couverture, puis la suce, tout en berçant l’enfant de l’autre main… Les traits du bébé se détendent, nous restons crispés. Est-ce vrai? Dort-il? On quitte la chambre sur la pointe des pieds, presque incrédule. Soudain, le bébé soupire. On se fige, le corps entre deux pièces. La respiration reprend son rythme, tout va bien. On arrive à notre lit, on se recouche en jubilant, on peut enfin retourner dormir…

Pauvres naïfs. Deux heures plus tard, les yeux encore exorbités, le cœur détraqué et le cerveau en ébullition, on se farcit une majestueuse insomnie. Et le bébé, lui, dort paisiblement.

Évidemment, vous allez vous vanter que ce n’est pas comme ça chez vous. Bravo! En fait, chez nous non plus ce n’était pas si pire, mais la nuit porte à l’exagération, non? Que ce soit pour un bébé qui réclame du lait ou pour le plus vieux qui vient de rêver à des monstres, la nuit fait partie du contrat.

Décidément, les parents font beaucoup de travail… au noir.

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